Eloge du carburateur


Phil

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Hello :)

 

Je suis en train de lire un livre (un vrai hein, sans images :) ) écrit par un Américain (Matthew B. Crawford) et titré "éloge du carburateur" (sous-titre : "essai sur le sens et la valeur du travail").

 

En bref, l'auteur est diplômé de sciences politiques, il est embauché à prix d'or comme consultant, et au bout d'un moment ça le fait tellement ch**r qu'il envoie tout valser pour s'installer à son compte comme réparateur de motos (il l'est toujours, en plus d'être écrivain). Il analyse donc, avec ses connaissances universitaires, ce qui fait l'intérêt du travail "manuel" par rapport au travail "intellectuel".

 

ça ne se lit pas aussi facilement que SAS, mais il y a des passages qui valent le détour, en voici quelques-uns :

 

Les premières motos n'étaient pas faciles à apprivoiser. Rien que pour les faire démarrer, il fallait déployer tout un rituel. En premier lieu, il vous fallait ramener la manette des gaz à la petite ouverture (en général, il n'y avait pas de ressort pour la ramener automatiquement au ralenti), choisir la position appropriée pour le starter en fonction de la température ambiante, et retarder manuellement le point d'allumage de plusieurs degrés. Après quoi, il fallait s'employer à utiliser le kick avec une certaine appréhension, en s'apprêtant à recevoir un n-ième coup sur un tibia déjà endolori. C'est particulièrement vrai si vous ne retardez pas suffisamment le point d'allumage, parce qu'alors le moteur fait de l'avance à l'allumage et c'est votre tibia qui trinque quand le levier remonte brutalement.

Quel est donc le secret d'un bon démarrage ? Maintenez votre engin en équilibre sur sa béquille, et pesez progressivement sur le levier du kick pour faire tourner le moteur lentement en passant la détente puis l'échappement, en jugeant du niveau de compression par le volume d'air qui sort par la soupape d'échappement. Lorsque le piston arrive en admission, vous êtes prêt à enfoncer le kick et à démarrer. Mais avant de le faire, assurez-vous qu'aucune représentante du beau sexe ne soit présente pour contempler votre tentative, pas plus que vos pires ennemis.

Avant de démarrer, la tradition veut généralement que vous allumiez une cigarette et que vous la laissiez suspendue à vos lèvres à un angle qui suggère une coquette nonchalance. Tant que vous y êtes, faites une prière pour la bonne marche du processus d'atomisation du carburant. Après tout, si vous n'étiez pas foncièrement optimiste, vous ne seriez pas motard.

Au bout d'une dizaine de coups de jarret, le front baigné de transpiration, il est possible que vcous puissiez enfin prendre votre envol. La première récompense de vos efforts sera la sensation du vent qui fouette votre visage enfiévré. Mieux encore, le brutal plaisir de l'accélération vous éloignera du piteux spectacle que vous venez d'offrir.

 

Les premières motos n'étaient pas très pratiques. Ou plutôt, elles étaient légèrement plus pratiques que les chevaux (enfin je suppose), mais pas de beaucoup. Etre motard, c'était accepter de sortir de soi-même, et s'engager dans une relation conflictuelle, tantôt hostile, tantôt amoureuse, avec un objet matériel qui n'était pas une simple extension de votre volonté, un peu comme une monture rétive. Il vous fallait adapter votre volonté et votre jugement à l'existence têtue d'une série de facteurs physiques contraignants. Les vieilles motos ne flattaient pas l'ego du conducteur, elles l'éduquaient.

Comme tous les parents le savent, les nourrissons sont convaincus que l'univers tourne autour d'eux et que tous leurs besoins devraient être satisfaits instantanément. Au stade initial de la technologie automobile, maîtriser une moto contribuait à faire de vous un adulte. Les coups de kick dans les tibias, c'est comme les coups de sabot de mule, ça vous forme un homme.

 

Pour mesurer la distance sidérale qui nous sépare des temps héroïques de la lubrification manuelle des motocyclettes, il suffit de savoir que certains modèles actuels de Mercedes ne disposent même pas d'une jauge d'huile. Quand le niveau est trop bas, c'est une instruction générique qui apparaît au tableau de bord : "engine service". En réalité, il n'y a eu aucune innovation technologique qui éliminerait la nécessité d'être attentif à la consomation d'huile et aux fuites éventuelles. Les nouvelles Mercedes n'ont rien de magique, mêmesi l'absence de jauge d'huile peut encourager cette superstition. Les faits élémentaires de la physique n'ont pas changé, ce qui a changé c'est la conscience que nous en avons.

 

[dans les années 80, son premier boulot est chez Chas, un préparateur de moteurs VW pour la compétition] J'avais toujours considéré la rupture d'une pièce métallique comme quelque chose de purement hypothétique. Mais pour Chas, il s'agissait d'une réalité de tous les jours. Deux boulons qui, à mes yeux, pouvaient passer pour parfaitement identiques, incarnaient pour lui la différence entre la gloire et la catastrophe. Pour un authentique fan de mécanique, la qualité d'un écrou n'a pas seulement une signification utilitaire, elle est aussi imprégnée d'une certaine charge esthétique.

Il est toujours possible de quadrupler la puissance d'un moteur de Volkswagen, voire de la quintupler ou de la sextupler. Il suffit pour cela d'accepter l'éventualité qu'il ne dure que le temps d'une course, et d'y investir des quantités astronomiques de temps et d'argent.

 

Normalement, un bon vendeur est quelqu'un qui s'insinue dans vos aspirations, les fait jouer en sa faveur et vous amène imperceptiblement à prendre une décision d'achat qui va vous coûter cher.

Dans un speed shop, le mécanicien adopte une attitude beaucoup plus ambivalente, dans laquelle le désir de vendre est contrebalancé par un professionnalisme un peu hautain. Si vous voulez des accessoires chromés prêts à poser, susceptibles d'assouvir vos fantasmes de puissance, vous feriez mieux d'aller dans un centre auto, qui sera plus à même de satisfaire votre narcissisme et vous offrira en prime un autocollant à mettre sur votre pare-brise. Mais si vous souhaitez une intervention plus profonde, par exemple nitrurer les portées de votre vilebrequin, démontez entièrement votre moteur et apportez-nous votre vilebrequin. Cette attitude olympienne peut avoir un effet très puissant sur le client, car elle suggère l'existence d'un club de privilégiés (ceux qui ont fait l'expérience de tenir un vilebrequin entre leurs mains), dont il pourrait aspirer un jour à devenir membre. Par conséquent, l'attitude un peu arrogante du vendeur du speed shop est peut-être en fait une forme supérieure de marketing qui trahit l'existence d'une subtile hiérarchie entre les êtres humains. Pour avoir accès à cet univers, votre chéquier ne sert à rien, il vous faut mériter votre entrée. Et il n'y a pas d'autocollant en prime.

 

 

[à l'époque où Ford mit en place le travail à la chaîne, la plupart des ouvriers refusaient de travailler ainsi, préférant la méthode artisanale] Contraint de suspendre provisoirement la logique taylorienne, Ford se vit obligé de doubler le salaire de ses travailleurs pour pouvoir faire fonctionner la chaîne. Et ces travailleurs devenaient plus productifs. De fait, Ford lui-même reconnut ultérieurement que cette augmentation de salaire fut "une des décisions qui diminuèrent le plus les coûts de production" : elle lui permit de diviser par deux, puis par trois, le temps de production, rien qu'en augmentant la vitesse de la chaîne. Ce faisant, il élimina tous ses concurrents, et avec eux la possibilité même d'autres façons de travailler.

 

L'éducation professionnelle à l'ancienne va à l'encontre d "un élément-clé du moi idéalisé de la nouvelle économie : la capacité d'abandonner la possession d'une réalité établie". On imagine ce qu'un tel rapport à une "réalité établie" peut comporter de risque aux abords d'une scie circulaire.

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On dirait moi quand je démarre mon "Dax", à part le coup de tibia dans le mollet, j'ai l'expérience, on me la fait pÔ, z'à moi, 92 kilos de cervelle et de muscles affutés par l'exercice, qui s'abattent sur le kick de tous mes 49,9cc, d'un seul coup d'un seul, et vrout-pout-pout, les 9856,3 personnes qui sirotent un café aux terrasses et qui applaudissent à tout rompre! La gloire, tout simplement. Toujours été très humble, tonton Baron, mais ça, vous le saviez déjà...

 

pareil pour la théorie du vilo. fallait voir la cheutron du voisinage quand j'ai trimballé ma culasse cet hiver, le regard entendu du voisin d'en face qui a été dans sa jeunesse un fougueux "DS"iste, le regard perdu de mon voisin d'à côté, un architecte, qui savait même pas ce qu'était un joint de culasse, l'ignare! le fils du "DS"iste, gringalet boutonneux de 17 ans, qui est venu me donner un coup de paluche pour m'aider à remettre et centrer la culasse sur le bloc, son père qui lui met la main sur l'épaule en lui disant, ému: "Te voilà devenu un homme, mon fils!" J'en avais l'alarme à l'oeil

 

TSHAW!

 

Oncle Baron

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@Tof : non, tout le reste n'est pas comme ça, j'ai mis les courts passages qui m'ont bien plu dans les 100 premières pages (il y en a 250 et j'ai pas fini, je vous mettrai d'autres morceaux choisis si ça vous plaît...).Mais l'idée générale est la réhabilitation du travail dit "manuel" (le vrai, artisanal, ni la chaîne en trois/huit ni les virtuoses genre forge/trempe de sabres japonais), qui mobilise souvent davantage d'intelligence que le travail dit "intellectuel".
Dans le genre, il y a aussi "traité du zen et de l'entretien des motocyclettes" que j'ai lu il y a une quinzaine d'années, je vais m'y remettre après celui-là.

@Baron : J'ai une vague idée de ce que tu veux dire, vu que, tous les matins, je kicke le mono 4T 499 cc (mais sans virgule celui-là :sifflement: ). Le pire reste mon "double-gromono" 1000 BeuMeu, sur lequel j'avais fait installer le kick optionnel en cas de défaillance de la batterie - je ne me demande plus pourquoi il n'est qu'optionnel :sifflement: . Il faudra que tu essaies ça un de ces quatre, je suis curieux de voir à quelle altitude peuvent monter 92 kilos... :D

@Eric : le bouquin est traduit, d'ailleurs assez mal par endroits pour les termes techniques : les culasses (cylinder heads) sont appelées "têtes de cylindres" et la distribution (valve train) "train de soupapes" :mwarf: . Il est paru l'an dernier aux US et le mois dernier chez nous aux éditions La Découverte, on le trouve dans toutes les bonnes librairies, et bien sûr sur la Toile (Amazon & Co), mais en accord avec les idées de l'auteur, on l'achètera chez son libraire ;) .

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  • Il y a 2 semaines...

bouquin acheté et presque fini .

 

tres interessant mais parfois peu accessible ...certaines tournures de phrases et certaines reflexion philosophico-sociologique sont pas toujours tres simple a comprendre , de meme que le vocabulaire assez pointu a divers endroits .

 

 

n'empeche il a raison et je suis d'accord avec ce qu'il dit ...

le passage sur la honda magna est marrant .

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tres interessant mais parfois peu accessible ...certaines tournures de phrases et certaines reflexion philosophico-sociologique sont pas toujours tres simple a comprendre , de meme que le vocabulaire assez pointu a divers endroits .
C'est exactement mon avis. Je pense que la traduction y est pour beaucoup, du coup je l'ai aussi commandé en anglais :hauhau:
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